Retranscription de l’interview
Fanny : L’enregistrement est lancé. Alors, est ce que tu peux commencer par te présenter, tout simplement ?
Vanessa : Alors oui, exactement alors je m’appelle Vanessa Fernandes, j’ai 38 ans. J’ai un parcours professionnel principalement commercial. C’est ce que j’aime faire depuis toujours.
Fanny : D’accord, t’as toujours fait ça du coup ?
Vanessa : Ah exactement, mais avant j’étais vraiment dans les magasins. J’ai commencé en étant dans des magasins de déco : BHV, Castorama et ce jusqu’à ce que je subisse mon accident qui m’a mis en fauteuil roulant pendant 8 mois…
Fanny : D’accord…
Vanessa : Donc voilà, j’ai donc eu 8 mois de fauteuil roulant puis en tout 1 an et demi de rééducation pour réapprendre à marcher, avoir de nouveaux repères. Parce-que quand on est en fauteuil aussi, c’est un gros choc, surtout quand on est une personne très active. Moi j’étais vraiment dans les rayons déco, donc je bougeais, j’étais à fond la caisse du matin au soir, je tirais les palettes…
Quand du jour au lendemain on se retrouve sans jambes, c’est super compliqué. Il y a donc une grande grande remise en question à avoir et surtout, garder…Comment on pourrait dire ça… Garder une certaine énergie, une certaine positivité…
Moi je sais que j’ai beaucoup avancé en faisant un gros travail sur moi et c’est ce qui m’a permis de rebondir. Et parce qu’après mon accident, quand il a fallu que je retrouve du travail, bé je me suis dit “Ce n’est pas grave, je vais faire de la vente par téléphone parce-que je n’ai pas trop mes jambes, parce-que j’ai besoin de travailler, parce-que pour moi le travail c’est la santé.
Donc j’y allais avec mon fauteuil puis après mes béquilles. J’ai travaillé. J’ai vendu des rouleaux de papier toilette par téléphone, voilà, pour les vendre à un ESAT…. Voilà c’est vraiment…De toutes les façons, il n’y a vraiment que le commerce que je sais faire donc j’ai rebondi de suite là-dessus.
Après des années se sont passées, alors avec toujours pas mal, pas mal de douleurs, mais j’ai continué mon bonhomme de chemin. J’ai réintégré des magasins beaucoup plus petits.
Fanny : D’accord…
Vanessa : Voilà, donc mon côté déco et pousser les palettes et tout, je savais que de toute façon c’était fini. il ne fallait pas se leurrer…Les séquelles que je garde aujourd’hui ne peuvent pas…Ce n’est pas compatible ! Ce n’est pas compatible ! Donc du coup, on se remet en question et on se demande “Mais qu’est-ce que tu aimerais faire dans un petit magasin ?” Bon bah, de la téléphonie ? Pourquoi pas ? je me suis lancée là-dedans avec pareil, un poste adapté et tout s’est très bien passé. Au bout de 5 ans, on m’a nommé responsable de magasin.
Fanny : Ahhh, super !
Vanessa : Donc c’est que voilà, on avait envie que je continue : on m’a dit “Ok Vanessa, ce magasin, il est pour toi et je ne vois que toi ici. Tu vas prendre la gestion”. Eh bon, je me suis éclatée ! Après, je tournais un peu en rond… Moi je suis quelqu’un qui aime beaucoup les challenges !
Fanny : Bé oui, ça se sent !
Vanessa : Je crois que j’étais arrivée en haut et je me suis dit : “Bon, qu’est-ce qu’on va faire d’autre… ? Je commençais à tourner un peu en rond. Allez, on part à l’aventure ! Je ne voulais plus travailler à la maison. Je voulais vraiment avoir un job, voilà…Le job, je ne le ramène pas chez moi, je fais mes heures et c’est tout. Et là, j’ai vu que dans ce milieu-là, le handicap n’est pas très bien perçu. Pas forcément par les employeurs, mais par les collègues.
Fanny : C’est vrai ? Les collègues…?
Vanessa : Ah ouais ! Des collèges, parce-que quand on est dans une équipe où même la cheffe…Oui, je me souviens bien, même la cheffe m’avait dit : « Bein finalement, je ne vais pas te prendre dans mon service parce que j’ai des personnes plus anciennes qui ne vont pas accepter que tu ne fasses pas de ménage comme elles. »
J’ai dit “Oui, mais moi c’est un handicap, je ne peux pas me baisser, je ne peux pas aller sous les machines, donc là c’est de la discrimination en fait, ce que vous êtes en train de faire”.
Du coup, la responsable a tout de suite fait marche arrière. Elle m’a dit « Non, c’est bon, je vais te garder ». Il a fallu quand même que je lui fasse un petit commentaire : « Non, ça je ne veux pas l’entendre ». Et je lui ai dit, comme ça, face à face « Ça, je ne veux pas l’entendre, de dire que c’est parce-que les anciennes ne vont pas accepter. Ça je ne peux pas, je ne peux pas. Parce-ce que moi ce n’est pas un choix, ce n’est pas un caprice. C’est que je ne PEUX PAS le faire !”
Après ça, j’ai intégré une entreprise, pareil…A chaque fois que j’intègre une entreprise, je suis franche et je le dis tout de suite : « Voilà, j’ai le statut de travailleur handicapé pour telle et telle raison ». « Ah, bon, d’accord… ». Un mois après, l’entreprise me dit : « Mais je ne savais pas ! Mais je ne savais pas ! Qu’est-ce que tu prends comme médicaments ? Parce-que tu comprends, je ne peux pas employer quelqu’un qui se drogue ! ». Et là j’ai dit : « Pardon ? Mais vous étiez au courant depuis l’entretien. L’entretien, c’est vous qui me l’avez fait, donc vous êtes au courant de ma situation ».
Après, je n’ai pas bataillé parce que les valeurs de cette personne ne me correspondaient pas. Moi j’ai besoin qu’une entreprise me soutienne. Oui, parce-que c’est comme un mariage quelque part, on ne signe pas des documents avec n’importe qui et moi j’ai besoin d’une relation de confiance et d’une relation où je me sens déjà écoutée.
Et chez SIG, c’est…Mais waouh ! La surprise du chef, vraiment ! Quand j’ai postulé le samedi et que le lundi la RH m’appelle et que je lui dis en plus, avec un culot : « J’attendais votre appel». Il faut quand même préciser tout ça…Oui, ça a été une très très belle histoire ! …Et je le savais depuis le samedi que j’allais être appelée. Il y a des choses comme ça qui ne s’expliquent pas…
Fanny : Tu l’as senti, tu l’as senti.
Vanessa : Ah mais je l’ai complètement senti. Et quand elle m’a appelée, je ne lui ai pas précisé par téléphone. Enfin, elle avait vu mon cv mais on n’est pas venues à en parler de ça, du handicap. Je me suis dit « Je le ferai quand je serai sur Paris ».
Fanny : Oui d’accord
Vanessa : Parce qu’il y a 2 ans, une entreprise à peu près comme SIG m’a laissé monter sur Paris. On avait fait 3 entretiens Skype qui s’étaient très bien passés. Normalement, je montais pour le poste, d’accord. Et quand je suis arrivée et qu’à la fin de l’entretien, je demande simplement qu’est-ce que vous avez comme véhicule ? On m’a regardé de travers en me disant :
« Pourquoi ? »
« Non, je veux juste savoir si c’est une boîte manuelle ou automatique » ?
« Et pourquoi ? »
« Parce-que j’ai un handicap et une boîte automatique serait plus agréable pour moi ».
Je n’ai même pas dit « obligatoire », j’ai dit « agréable », tellement je tenais à ce poste. Et on m’a rappelé une heure après pour me dire que finalement, « Désolés mais non ».
Donc ça, ça m’a vachement refroidi, énormément refroidi.
C’est pour ça qu’à SIG je ne l’ai pas sorti tout de suite. Mais voilà, quand j’ai lu sur LinkedIn, sur Facebook, les petits hebdos que vous faites (c’est super sympa) : elle est géniale cette boîte ! Je me sens à l’aise, je vais pouvoir en parler et le premier jour de la formation, quand on a tous le sujet du véhicule, quand il est venu sur la table, je me suis permis d’en parler à ma future responsable qui m’a dit « Mais bien évidemment, mais oui Vanessa, tout de suite. Je vois ça tout de suite avec le service RH. Y’a pas de problème ». Et quinze jours après, j’avais un véhicule adapté.
Fanny : D’accord, donc ça a été mis en place très très vite.
Vanessa : Ah mais super vite. Je suis montée à Paris quinze jours après pour apporter le véhicule et partir avec un véhicule, en plus neuf. Neuf, complètement neuf.
Ah c’est vraiment…Voilà… Je ne sais pas quoi dire d’autre, à part vraiment. Il ne faut pas se cacher parce que garder en soi, ce n’est pas bon, ce n’est pas bon.
Ça peut…On peut finir en dépression. Il y a une période où bien évidemment je suis passée par la dépression. Il ne faut pas se renfermer.
Il y a des gens qui sont là pour nous, pour nous écouter, pour comprendre et pour s’adapter. Finalement, ce n’est qu’une question d’adaptabilité. Ce n’est pas compliqué. On n’est pas des machines, ni des robots. On est des humains…
Fanny : Exactement…
Vanessa : Avec chacun…Voilà… Moi je palie du coup mon handicap avec ma joie de vivre, j’essaye…
Alors, je ne dis pas que tous les jours c’est facile, bien sûr, que forcément dans mon quotidien il ne ressemble pas à un quotidien d’une personne lambda. Je vais faire attention à ne pas me coucher tard, parce que j’ai besoin de reposer mes jambes. Je sais que je ne peux pas marcher beaucoup non plus, donc je vais faire attention à où est-ce que je stationne, comment je fais, comment je gère mes journées…Voilà.
Mais une fois qu’on connaît son handicap et qu’on s’adapte en fait, il ne faut pas aller à l’encontre de soi.
Pendant longtemps, j’ai essayé d’être combattante. Mais non…Je rentrais avec des douleurs, j’étais toute cassée, j’étais obligée d’appeler mon kiné pour qu’il me prenne en urgence.
Oui, ça ne sert à rien. A partir du moment où on a quelqu’un en face de nous qui est au courant de notre problème…Enfin, même pas problème…Notre différence on va dire…Pour moi c’est une différence. Et heureusement, car voilà. Maintenant, c’est devenu une force, voilà.
Fanny : ça se sent
Vanessa : J’ai encore plus de caractère on va dire
Fanny : Mais ça se sent. On sent que tu es quelqu’un qui est pleine de motivation, qui est pleine de dynamisme et c’est génial, c’est vraiment génial.
Vanessa : Voilà, c’est la vie. La vie fait passer par de drôles de périodes. Mais il ne faut pas oublier qu’on a qu’une vie, qu’on est que de passage. On aura toujours pire que nous, ça aussi il ne faut pas l’oublier. Il y a toujours pire que nous, il ne faut pas s’apitoyer comme ça sur son sort et se dire “Oh, my god, qu’est-ce-que je vais faire…” Non, Eh bien on continue là-dedans, différemment, mais continue dans le contact et voilà, je me booste. Alors je passe aussi beaucoup d’heures à m’essayer dans la philosophie. J’essaye…
En fait, j’ai soif d’apprendre. Et voilà. En fait c’est un mental. C’est vraiment un mental.
Fanny : Oui, je pense que là, un mental, ça fait tout. Et heu… J’ai juste une petite question : à l’heure d’aujourd’hui, avec ton équipe, comment ça se passe ? Parce-que du coup tout à l’heure, tu mettais le doigt sur le fait que dans des entreprises, avant de venir chez SIG, ça ne se passait pas forcément bien. Aujourd’hui, est-ce-que tu en as un peu parlé à ton équipe, est-ce qu’ils sont du coup au courant de ton handicap ?
Vanessa : Ouais, complètement. Pareil, je me sens vachement soutenue. Quand je suis montée à Paris, on s’est retrouvés avec un collègue qui avait pris le même train que moi donc pour arriver aux locaux de Vélizy, on a fait le trajet ensemble. Il a été tout de suite très attentionné, il me voyait batailler, à marcher de long en large en travers, “Attends, je vais prendre ton sac”. Non, non vraiment. C’est parfait. Y’a pas eu de mots de trop ou de petites blagues vaseuses. J’ai affaire à des gens responsables. On n’est pas dans la même catégorie que ce que j’ai pu connaître auparavant.
Fanny : Bah, tant mieux, tant mieux. Je suis contente que ça se passe comme ça, clairement.
Vanessa : Aaaah ouais !
Fanny :Est-ce que tu as envie de rajouter quelque chose, parce que là je pense…Je pense qu’on a tout !
Vanessa : C’est vrai ?
Fanny : Bah ouais, attends ! Hey !
Vanessa : Je me suis mis une pression…
Fanny : Mais une pression pour rien, madame ! il y a tout qui est sorti, c’était naturel et c’est ce qu’on voulait. Mais…Est ce que tu as envie de rajouter un dernier mot ?
Vanessa : De ne pas hésiter à montrer qui on est. D’aller vers les gens. D’aller notamment vers les DRH parce qu’il ne faut pas se cacher. Il faut échanger. Il faut échanger parce-que c’est super important et c’est comme ça qu’on avance.
Fanny : Parfait !
Vanessa : Mais voilà ce que j’aimerais dire à la fin, pour vraiment inciter les gens qui ont des petits ennuis comme ça de santé et qui n’osent pas…Voilà, moi j’aimerais qu’ils décapsulent un petit peu…Voilà.
Fanny : Oui, qu’ils n’aient pas peur d’en parler et justement qu’ils se sentent suffisamment à l’aise pour le faire. Et surtout, on est là pour les accompagner.
Vanessa : Exactement !
Fanny : Eh bien on est bon
Vanessa : Et bé, c’est super !
Un grand MERCI à Vanessa pour ce témoignage positif à coeur ouvert !